Santiago Davila Valdivieso, premier Équatorien à avoir intégré l’ENA

par admin dans Membres

Santiago, vous avez un parcours original, qui vous a mené de l’Équateur à l’ENA en France. Vous avez été très impliqué dans le domaine culturel en dirigeant les relations extérieures de Flag France Renaissance, et désormais, vous êtes chargé d’une nouvelle cause, celle de l’habitat pour l’Agence Française de Développement.

Les propos tenus n’engagent pas Perspectives.

Bonjour Santiago ! Vous avez été le premier énarque équatorien. Pourriez-vous nous parler de votre parcours et nous dire ce qui vous a conduit en France ?

J’ai en mémoire un moment très précis qui a énormément influencé mon choix de venir en France : le discours français à l’ONU contre la guerre en Irak prononcé en février 2003. Cela s’est évidement ajouté à l’influence de ma famille qui a toujours été proche de la France.

Ensuite, j’ai eu la chance de faire mon cursus universitaire dans des belles universités à Lyon, Paris et au Canada avant d’intégrer l’ENA, où j’espère qu’il y aura bientôt plusieurs Equatoriens.

Trouvez-vous que la société française est suffisamment ouverte vis-à-vis de l’étranger et des parcours internationaux comme le vôtre ?

Absolument. Bien sûr que la société française est ouverte et même l’une des plus accueillantes que je connaisse. Au-delà de l’accueil réservé aux profils « chanceux » comme les nôtres, il suffit de regarder la multiplication des initiatives individuelles vis-à-vis de migrants, démarches qui contrastent souvent avec les positions officielles. C’est donc évident que la société française est non seulement ouverte mais solidaire malgré tout ce qu’on peut entendre…D’ailleurs, je suis Franco-Equatorien désormais !

Concernant les parcours internationaux, ou la diversité d’un parcours, c’est un autre sujet. En France la notion de carrière est très forte, et les gens considèrent souvent qu’on a « vocation » à rester longtemps dans une même branche d’activité. Dans certains pays comme le Canada par exemple, la diversité du parcours et les changements de formation ou d’expériences professionnelles sont « un plus ». En France cela peut être perçu comme un parcours « chaotique ». Difficile de savoir qui a raison… !

La fameuse méritocratie à la française, existe-t-elle toujours selon-vous ?

Oui. Et l’ENA est l’exemple type car cette école a été créée pour ça justement : démocratiser l’accès à la haute fonction publique. Or, avant l’ENA, qui n’est pas la seule bonne école en France, je suis passé par plusieurs universités à Lyon et à Paris, je peux témoigner des chances que le monde académique offre à tous, y compris aux étrangers.

En France, on cède souvent au pessimisme et on évoque le déclinisme, pensez-vous que c’est fondé et pourquoi ?

Je vais vous répondre en vous racontant une anecdote.

Lors de mon stage en préfecture à Rodez, j’ai effectué quelques jours au sein du parquet auprès du Procureur de la République. A cette occasion et entre deux dossiers, il m’avait dit un jour « …en France on peut être très respectueux de la loi, mais les Français se plaignent souvent et ils remettent toujours tout en cause, même la loi … mais c’est bien cela qui fait évoluer notre droit et notre société … »

Je dirais donc que plus que pessimisme, c’est une envie de mieux, et oui, on peut toujours mieux faire !

Quels sont les principaux atouts de la France ?

Pour moi, l’atout le plus important est ce que la France représente encore pour le reste du Monde : pays de Droits de l’Homme, de Lumières, terre d’accueil et de tolérance. Mais on peut bien sûr s’attarder aussi sur le commerce, les entreprises qui font rayonner la France, le luxe, la gastronomie, le tourisme, les start-up d’innovation etc., ce serait trop long à détailler mais je pense avoir dit l’essentiel : sans les premiers « éléments » le reste compte peu.

L’Equateur a été façonné par Simon Bolivar, rousseauiste et admirateur de la révolution française. Avez-vous, en arrivant en France, ressenti cet esprit républicain hérité des Lumières ? Comment se manifeste-t-il ?

En comparaison avec l’Amérique Latine, l’esprit des Lumières se manifeste en France à travers le principe fondamental de la laïcité de la République (tel que décrit par Aristide Briand). L’application de ce principe manque cruellement dans les pays Latino-Américains.

D’autre part et comme vous l’avez indiqué, Simon Bolivar a contribué à importer en Amérique Latine plusieurs principes issus de la révolution française comme la liberté, l’égalité ou encore la fraternité, mais n’oublions pas le rôle indirect de Napoléon dans les révolutions du continent sud-américain. Lorsque Napoléon a pris le pouvoir en Espagne, en 1807, écartant le roi du trône, il a affaibli l’administration et l’armée espagnole présente en Amérique-Latine ce qui a profité aux leaders, tels Bolivar, qui ont amplifié leurs mouvements et les révolutions se sont enchainées à partir de cette date.

Nous nous sommes d’ailleurs inspirés du code civil de Napoléon que le Chilien Andrés Bello a adapté aux réalités chiliennes en 1855, pour le diffuser ensuite dans tout le continent.

La géopolitique de la France se tourne naturellement vers l’Europe, historiquement vers l’Afrique et économiquement vers l’Amérique du nord et l’Asie. L’Amérique latine, malgré son importance, fait figure de parent pauvre dans les relations extérieures de la France. Vous qui avez été un représentant de l’association Flag France et investi dans le festival de littérature franco-américaine, trouvez-vous que la présence culturelle de la France en Amérique latine est une réalité ?

Parent pauvre est un terme fort… Les relations entre la France et l’Amérique Latine ont toujours été et restent fortes sur tous les domaines. Vous avez une présence importante des ambassades mais aussi des lycées français et des alliances françaises sans oublier le rôle de l’Agence Française de Développement (AFD) dans plusieurs pays de l’Amérique Latine. Je reviens de la Conférence des Nations Unies, Habitat III, qui s’est tenue à Quito et j’ai pu constater les projets en cours que cette institution accompagne. Dans la région, les engagements de l’AFD atteignent près de 4 milliards d’euros pour financer des projets de protection de l’environnement, habitat durable ou bien de transport urbain.  La présence de la France dans ce continent et les programmes de coopération sont donc une réalité qui se renforce chaque jour, ce dont je me réjouis.

« L’homme de culture a deux patries, la sienne et la France. » disait Jefferson. Pourriez-vous en faire votre adage ?

Vous mettez la barre très haut. Bien sûr, et pour vous répondre avec une citation également, actualité oblige d’ailleurs, je dirais même que « la civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition de cultures, préservant chacune son originalité » comme disait Lévi-Strauss.

Nous revenons un peu sur votre parcours, vous vous êtes investi également dans des causes humanitaires, comme Handicap International et l’Agence Française de Développement pendant Habitat III, qu’est-ce qui a été le moteur de ces engagements ?

Mon parcours et toutes les opportunités que j’ai pu vivre m’ont permis de comprendre l’obligation de notre génération de savoir surmonter les différences culturelles. Je suis convaincu que le dialogue des cultures est la clé pour construire un Monde plus juste qui garantit à toutes et tous de vivre dignement.

Quelle est votre personnalité (vivante ou morte) française préférée ? Pourquoi ?

Jacques-Yves Cousteau, puisqu’ il a vu, connu, et respecté le Monde surement plus que nous tous ensemble, mais il savait rester humble et reconnaitre que tout reste à découvrir…

Qu’aimez-vous dans l’idée de Perspectives ?

L’initiative en soi. Perspectives « veut sensibiliser ses membres aux grands enjeux du futur, avec un regard particulier sur la jeunesse », je ne peux que saluer cette initiative ! Mais si vous me le permettez, j’ajouterais un mot à votre devise : « s’approprier ». Ce serait bien de sensibiliser et permettre aux jeunes de s’approprier les enjeux de demain !

Une dernière question, récurrente dans nos entretiens, avez-vous un modèle et quel est votre rêve ?

J’ai la chance de pouvoir dire que j’accomplis et je modifie mon rêve chaque jour.